L’invincible été

Axelle TESSANDIER
3 min readFeb 20, 2022

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La peur est revenue, la panique aussi. Elles sont voisines mais ne se confondent pas : l’une peut être protectrice avant de devenir paralysante, l’autre est un bourreau à sentence immédiate.
La nuit tombe vite et tôt, le froid s’installe dans la tête, le corps et le coeur.

La lumière se fait plus discrète, l’espoir de réconciliation aussi. Je dois lâcher prise, la main, abandonner l’être ou l’idée à laquelle je croyais, renoncer à ce projet. Il faut dire au revoir et ne pas insister, construire ce qui doit être et non ce qu’il faut forcer, chuchoter « que sera, sera » en croyant la maxime. Il faut tourner la page. C’est une déception immense, une épreuve comme une autre mais singulière, une douleur nouvelle et déjà éprouvée, une mauvaise journée qui devient une semaine laborieuse.
Arrive l’impression que la douleur s’installe. Elle prend toute la place et l’espace des journées plus courtes. Je connais, cela devrait rassurer…Veni, vidi, vici. Pourtant, le champ de bataille surprend encore. Fracassée, à terre.

L’hiver est là, et il n’est pas une saison. Il est la sensation que rien ne renaîtra. Ni la confiance, ni la passion. L’élan vital n’est pas loin pourtant, j’entends son battement, mais je suis tétanisée.
Comme à chaque réminiscence d’une fracture passée, d’un enthousiasme contrarié, d’une leçon violente et inévitable (puisqu’on s’y est plongée), d’un « je ne t’aime pas » que personne n’a prononcé mais que tu jure avoir entendu, du retour de l’effroi de sa propre disparition si on ne peut pas crier sa vérité. Le vent s’engouffre, tu le sens venir de toute part, tu tournes la tête dans tous les sens, guettant la prochaine bourrasque. Mieux vaut rester à genoux, près du sol, la tempête pourrait t’éviter, ne pas te trouver.

Evite ce souffle qui dissipe tout en une fraction de seconde. Tu respires péniblement, recroquevillée. Tu te crois protégée, mais le mouvement ne passe plus. Et avec lui, la vie, la chaleur, la possibilité de ce qui n’est pas encore. Tu te barricades, plus rien ne rentre.

Ni le danger crois-tu, ni l’existence le sens-tu?

Il y a des cycles auxquels on ne peut pas échapper. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, tu as vu le film petite, le titre t’avait marquée, et on ne t’a jamais menti à ce sujet. Le courage des êtres dans l’adversité, tu l’as vu, le connais, l’a éprouvé, ta chair s’en souvient, ou le fera bientôt.

Mais tu n’as pas l’endurance pour cultiver le conditionnel, ou l’optimisme de volonté ce jour là. Il faut guetter l’apaisement soudain, la beauté d’une sérénité furtive, quelques secondes ou minutes.. ils sont la promesse de l’alignement, du retour à soi.
Albert Camus t’accompagne depuis toujours, comme un modèle, une inspiration, un idéal d’engagement, de talent, l’écrivain, le philosophe, le journaliste qui sans éviter les doutes et les troubles semblait dans le bouillonnement, l’action, capable de bonheur(s).
Et te revient la phrase finale mille fois entendue qui prend une signification différente ce jour-là…

« je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel ne m’avait jamais quitté. C’était lui qui pour finir m’avait empêché de désespérer. J’avais toujours su que les ruines de Tipasa étaient plus jeunes que nos chantiers ou nos décombres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toute neuve. Ô lumière ! c’est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier était aussi le nôtre et je le savais maintenant. Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. »

Les mots t’attrapent, te sauvent, encore une fois. Tu décides te prêter attention à la chaleur naissante, tu penses qu’au milieu des ruines, il y a des pierres à remettre à l’endroit. Tu penses que dans l’adversité, il y a bien un chemin à trouver, quitte à aller le chercher.
Les moments à saisir, tu les reconnais, ils sont un retour à la maison, un laisser passer vers un horizon retrouvé, celui qui ne ressemble pas au vide mais au monde.
Comme un désir de t’y retrouver.

Ton invincible été est là.

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Axelle TESSANDIER

Apprendre en permanence, créer le plus souvent possible. Auteure “La révolution silencieuse”, Editions Marabout.