Les gens normaux sont exceptionnels.

Axelle TESSANDIER
4 min readFeb 22, 2022

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Ce n’est pas si courant de fondre en larmes devant une série. Pleurer devant une création arrive quand nous sommes touchés en plein coeur, quand l’attachement aux personnages, à leurs douleurs et leurs joies, est là.

Soudain, le personnel se fait universel et la résonance apparaît.

“Normal People” est une série adaptée du roman de Sally Rooney. Grand succès en Irlande, dont la jeune autrice est originaire, je ne connaissais ni le livre, ni le programme de la BBC3, avant qu’il n’arrive la semaine dernière sur France 5. Je vois passer quelques commentaires bouleversés, de chaudes recommandations de ne pas rater ce bijou de sensibilité. J’ai failli passer à côté à cause du titre je l’avoue…pourquoi l’ordinaire devrait m’embarquer ?

Mais dès les premières minutes, je ne pensais plus au titre, à rien, j’étais ailleurs, en Irlande, plongée dans l’univers de Marianne et Connell, deux adolescents que tout sépare et que nous suivons durant douze épisodes du lycée à l’université. C’est une histoire d’amour, d’apprentissage, de peurs, d’émotions ressenties, des sensations découvertes à un âge où l’on ne sait plus qui l’on est, sans savoir encore très bien ce que l’on pourrait devenir. A dix-huit ans, tant se joue dans le regard de l’autre, l’acceptation de nos pairs.

La fébrilité face au groupe, en voulant en être coûte que coûte, est immense. Elle dicte nos actes plus que notre vérité.

Le masque est installé : nous voulons être aimables, nous le faisons quelle que soit la saison de nos vies, mais la pression est d’autant plus forte dans un environnement social dans lequel nous nous trouvons en permanence, en pleine construction de notre identité. La bande d’amis, le lycée sont les décors de Marianne et Connell, chacun venant d’un milieu différent mais se retrouvant assis l’un à côté de l’autre. Les regards échangés deviennent des conversations timides, puis des moments qui offrent un trésor à ces deux personnages si précieux : la possibilité d’être eux-mêmes, enfin, simplement, totalement.

Leurs baisers incandescents, leurs corps enlacés racontent, avec un réalisme et une délicatesse rarement vus à la télévision, le lien évident à un être. C’est l’abandon de soi, pour se retrouver d’autant plus dans les bras de celui qui nous comprend et nous regarde, pour nous voir, sans juger ou s’approprier quoi que ce soit. ( Une “coach d’intimité” était présente sur le tournage, expliquant la réussite de ces scènes, en plus du talent de Daisy Edgar-Jones et Paul Mescal, prodigieux dans leurs rôles).

Nul besoin d’être étudiant pour être ému par “Normal People”.

Marianne et Connell expriment le désir, la dépendance à l’objet de notre affection. Mais ils racontent aussi la force que nous donne l’amour, celle-là même qui permet de prendre son envol, quand on pressent que nos chemins vont se séparer, comme si le cycle partagé ensemble pour se construire entre deux mondes, celui de l’enfance et de l’adulte ici, en amenait un autre que l’on doit entamer seul(e), sans le formuler ni à soi ni à l’autre.

Marianne et Connell se découvrent, grandissent sous nos yeux, s’aident…et se font souffrir parfois. Quoi de plus normal, quoi de plus remarquable.

Remarquables, ils le sont, tout comme leur amour. La rencontre est un bousculement, quand elle n’est pas une bascule. Vers un autre monde, une autre vie, un autre chemin emprunté, porté(e) par celle ou celui qu’on aime. Peut-être s’y jette-t-on avec moins de doutes au début de nos existences, moins échaudés par les expériences passées. Nous avons tort. Nos chemins sont toujours faits de nos partages, des liens qui changent notre rapport au monde, à chaque instant.

On devine que le parcours que Connell et Marianne commencent aurait été modifié si ils ne s’étaient pas reconnus et adorés. C’est aussi cela que la série nous dit : l’importance de ne pas rater les moments, ne pas fuir devant la peur d’aimer, même si le risque de mettre son coeur dans les mains d’une personne est terrifiant, même si l’on pourra souhaiter certains soirs n’avoir jamais croisé l’autre, tant l’amour peut aussi être synonyme de souffrance, de désarroi, de manque. Marianne et Connell ne sont à l’abri de rien, s’éloigneront, se protégeront. Ils apprendront aussi que certaines étapes nous appartiennent, et se font en solitaire.

Le dernier épisode nous laisse là, avec notre intuition de la suite, en fonction de sa propre histoire ou de ce que l’on croit entrevoir d’une jeune femme et d’un jeune homme de vingt ans, tournés vers leur possible respectif.

Leurs personnages restent avec nous longtemps. Ils nous donnent envie de vibrer et nous rappellent que l’essentiel est aussi extraordinaire que commun. Ils nous chuchotent que nous avons tous besoin de nous lier à des êtres humains.

Des gens normaux, donc tout aussi singuliers et uniques que nous le sommes.

Regarder : Normal People, France 5

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Axelle TESSANDIER

Apprendre en permanence, créer le plus souvent possible. Auteure “La révolution silencieuse”, Editions Marabout.